Charlotte Perkins Gilman – Herland, 1915 – The Yellow Wallpaper, 1892
Charlotte Parkins Gilman est une romancière américaine, de la fin du 19ème-début du 20ème siècle, que j’ai découverte par hasard en écoutant une émission radio qui parlait du roman utopiste « Herland » de cette féministe d’avant-garde (écrit en 1915!). Parfait pour le challenge Anticipation donc, même si ce n’est finalement pas à proprement parler une anticipation puisque l’action ne se passe pas dans un futur (proche ou lointain), mais dans un monde parallèle uniquement féminin, découvert par trois explorateurs masculins.
J’ai donc acheté la version Kindle en anglais (« Herland » n’est à ma connaissance pas encore traduit en français) et dans la foulée, j’ai découvert également dans cette édition le très impressionnant court récit « The Yellow Wallpaper » traduit en français « Le Papier peint jaune » ou « La séquestrée ».
Herland, 1915
C’est le récit de la découverte d’un monde isolé depuis plusieurs milliers d’années par trois amis explorateurs: Vandyck, le narrateur qui est sociologue, Jeff, médecin qui aurait rêvé d’être poète ou botaniste, et Terry, explorateur, riche, doué en mécanique et électricité, et qui possède bateau et avion. Ce monde a ceci de particulier qu’il n’est constitué que de femmes et d’enfants-filles, qui se reproduisent par parthénogenèse. Leur monde est idéal, harmonieux, les enfants sont élevés par la communauté, la culture, la connaissance, la science sont enseignées naturellement, la propriété privée n’existe pas, l’alimentation est faite de végétaux, aucun mal n’est fait aux animaux, les chats ont d’ailleurs été sélectionnés pour ne pas tuer les oiseaux, … Un monde parfait? Les trois hommes sont surpris en rencontrant ces femmes qui n’en sont pas, elles ont perdu tous leurs attributs féminins (leurs vêtements sont simples et pratiques, elles ont les cheveux courts), tout ce qui fait leur « charme » selon leur définition, elles n’ont pas besoin d’hommes, elles ont des corps athlétiques et font tous les travaux manuels. Les trois hommes vont passer un an dans cette communauté, d’abord séquestrés, puis sous liberté surveillée, ils vont apprendre la langue et les connaissances de ce monde, et finir par s’unir chacun avec une jeune femme. Mais leur désir sexuel n’est pas compris par ces femmes, qui n’en ont pas besoin pour enfanter. L’un d’eux se révoltera, l’un d’eux s’adaptera parfaitement à ce monde et à ces règles comme s’il en avait toujours fait partie, enfin le narrateur va apprendre l’amour absolu avec sa jeune épouse Ellador, au point de renoncer à la « forcer » aux relations charnelles. Terry, Vandyck et Ellador décideront de retourner dans le monde des trois hommes…
Dire que ce roman a été écrit en 1915! Il est très avant-gardiste, et critique sur la place de la femme dans la société de l’époque. Ce monde débarrassé des hommes est proche de la perfection, plus besoin d’attributs féminins, la femme sort du foyer pour travailler, elle n’est plus centrée sur l’éducation de ses propres enfants, qui sont élevés par la communauté, elle n’a d’ailleurs plus besoin d’hommes pour enfanter. Vraiment un texte très intéressant, et je découvre seulement maintenant qu’il fait partie d’une trilogie « Moving the Mountain », « Herland », et « With Her in Ourland », que j’ai envie de découvrir…
The Yellow Wallpaper (Le Papier jaune ou La Séquestrée), 1892
Une jeune femme qui ne supporte pas sa condition d’épouse se limite à ces trois seuls centres d’intérêt « autorisés », la Maison, les Enfants, les Mondanités familiales, tombe en dépression grave et accepte de se faire soigner selon une méthode nouvelle : une « cure de repos » d’un genre radical, qui s’apparente en fait à une séquestration pure et simple.
Récit court vraiment très impressionnant, qui décrit l’enfermement dans une chambre (avec barreaux aux fenêtres) par son mari médecin (!) d’une femme souffrant de dépression du post-partum. Celle-ci est coupée du monde et n’a plus le droit d’écrire. Elle sombre de plus en plus dans la folie, et voit derrière les motifs répétitifs de l’horrible papier peint jaune une femme enfermée elle aussi, mais qui réussit à sortir chaque nuit en rampant… La femme enfermée dans le papier peint symbolise la femme enfermée dans la chambre, qui finit par arracher elle-même tout le papier peint pour la délivrer. Une description magistrale de la folie, on est très mal à l’aise…
J’ai mieux compris ces deux récits en lisant ensuite la biographie de Charlotte Perkins Gilman. Elle a souffert elle-même d’une grave dépression du post-partum et a été soignée avec les méthodes de l’époque (l’enfermement) par le médecin qui a « soigné » également Alice James (soeur d’Henry) et Edith Wharton, qui avait aussi de trop grands vélléités d’indépendance pour l’époque (par l’écriture). Charlotte Perkins a ensuite divorcé de son premier mari et lui a laissé leur fille (c’est fou pour l’époque) pour se consacrer à l’écriture grâce à un second mariage plus libre. Souffrant plus tard d’un cancer, elle a décidé de mettre fin à ses jours par suicide au chloroforme (très moderne également!).
Une romancière à découvrir sans aucun doute!
Livre lu dans le cadre des challenges Américain, Anticipation (pour Herland), XIXème siècle et année 2 (pour The Yellow Wallpaper)
Une très belle découverte tout compte fait que je te dois entièrement, mille merci…
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UNE TERRE À ELLES
vers un féminisme du possible
de Kate ROSE
docteur en Lettres modernes de l’Université de Montpellier III
professeur à l’Université Chinoise des Mines, de Xuzhou (Chine)
Souscription sur internet en cliquant sur : http://www.bordulot.fr/detail-une-terre-a-elles-171.html
Merci beaucoup pour votre suggestion
passionnante découverte